Interventions

Discours à l'UNESCO - 9 juillet 2012

Paul Schaffer, président d’Honneur du Comité Français pour YAD VASHEM, membre du bureau de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah

Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs,
Madame la Directrice Générale de l’UNESCO,
Monsieur le Président de VERBE & LUMIERE,
Monsieur le Directeur du Centre Simon Wiesenthal, 
Messieurs les Représentants du Centre Russe de l’Holocauste,
Chers lauréats du concours international de Russie,
Mesdames, Messieurs,

Rescapé de l'enfer d'Auschwitz, fidèle à la mémoire, après avoir été le témoin de la Nuit de Cristal à Vienne quelques années plus tôt, je suis très touché que l’Association « VERBE ET LUMIERE » m’ait invité à dire quelques mots aujourd’hui, à l’occasion de la venue à Paris des lauréats de Russie choisis parmi plus de 1700 candidats. 
Je le suis d’autant plus, que ce lieu, l’Unesco, dédié à l’éducation, à l’humanisme et à la paix, a, depuis quelques années enfin commencé à accorder à l’enseignement de la Shoah une place importante au regard des objectifs qui sont les siens.
Je voudrais enfin féliciter les représentants du Centre Russe de l’Holocauste pour les actions qu’ils mènent depuis des années, en faveur de la transmission de la mémoire de la plus grande tragédie ayant frappé la civilisation occidentale.

J’ai été déporté de France en 1942 à l’âge de 17 ans, avec ma mère et ma sœur vers Auschwitz. Elles furent gazées à leur arrivée. Je me suis évadé en 1945 après “la marche de la mort” du train qui amenait les déportés survivants vers l’intérieur de l’Allemagne. J’ai été libéré peu après par une patrouille soviétique, plus exactement le 27 janvier 1945, ce même jour où l’Armée Rouge découvrait et libérait le camp d’Auschwitz-Birkenau. Cette date est pour moi plus que celle de ma libération, elle est celle de ma deuxième naissance. 
Vous pouvez donc facilement imaginer mes sentiments de reconnaissance à l'égard de vos compatriotes et je profite de notre rencontre pour leur exprimer encore une fois ma gratitude. Je sais le prix qu’ils ont payé et ce que notre liberté leur doit.

Les lauréats dont les travaux vont sans doute nous être présentés, se sont penchés avec rigueur sur le destin des victimes de la barbarie nazie, particulièrement violente dans leurs régions, en abordant également des thèmes plus larges.

Quant à moi, je voudrais insister sur une question : celle de notre retour en France et l’incompréhension générale à l’égard des survivants de la Shoah. En effet à notre retour en France, un mur nous séparait de ceux qui avait souffert autrement.

C’est donc de la transmission de notre dramatique vécu, la sauvegarde de la mémoire et son évolution dont je veux vous parler.

A notre arrivée nous devions avant tout nous appliquer à convaincre ceux qui acceptaient de nous écouter de la véracité de nos récits. Il nous fallait dépeindre l'invraisemblable, trouver les mots justes pour faire comprendre l'inimaginable, avec les mots d’avant qui ne convenaient pas. Il fallait tenter de faire admettre que nous venions quasiment d'une autre galaxie, d'où nul ne devait revenir. Nous nous heurtions à l’impossibilité d’imaginer l’horreur, d’expliquer l’inexplicable. Il n’existait aucune place dans le cerveau humain pour y caser notre drame. Nous venions simplement troubler la quiétude d'une population émergeant à peine d’une guerre, qui avait engendré de multiples privations et souffrances, évidemment incomparables aux nôtres, mais qui seules comptaient pour elle. Pour finir, nous paraissions même suspects à certains, puisqu'ayant survécu aux atrocités dont nous disions avoir été témoins et victimes. Nous avons bien essayé d’expliquer mais devant ces difficultés, cette incompréhension, ce décalage, pour un grand nombre d’entre nous et pendant un long moment, ce fut le silence qui l’emporta et le constat d’un impossible dialogue. Le silence a tout écrasé. Nous nous sommes tus en essayant de nous reconstruire, de reconstruire une vie, de trouver un travail et de fonder une famille.

Puis, progressivement, en France, les différentes thèses nationales et historiques se sont succédé et avec le temps, l’importante bibliographie, les images, les films, le nombre considérable de témoignages ont fini par imposer la vérité. La construction de lieux de mémoire, l’oganisation de visites accompagnées sur les lieux des crimes ajoutaient à la connaissance de ce que nous avions vécu.

La seconde phase a été celle où nous avons pris la parole pour enseigner et contribuer à l’éducation des générations suivantes. Nous complétions les livres d’Histoire et les connaissances des historiens. Enfin les historiens étaient à notre écoute.

Notre souci a été, au-delà du récit de notre histoire particulière, de faire comprendre comment des hommes ont pu organiser le plus grand massacre collectif de l’histoire des hommes à partir de directives étatiques perverses qui ont fait d’eux des meurtriers. Nous souhaitions surtout éveiller une vigilance permanente des futurs citoyens, leur inculquer le respect de la vie et celui du prochain, afin que la catastophe que nous avions subie ne puisse plus jamais se reproduire.

Je peux affirmer qu’en retour, les lettres des enseignants, celles des élèves et souvent des dessins des plus jeunes, traduisent leur compréhension et récompensent nos efforts.
Nous poursuivons aujourd’hui les mêmes objectifs, mais une nouvelle dimension est venue s’y ajouter. Notre monde a fortement évolué durant ces dernières années. Des progrès techniques considérables ont vu le jour, mais ils n’ont nullement entraîné un progrès moral comme nous l’espérions. En revanche on assiste à la perte des valeurs éthique, au developpement de l’inculture, les carences culturelles se sont notablement agravées.

La violence a resurgi, associé à un angélisme de mauvais aloi, cultivé par les media, la barbarie est déjà là. L’antisémitisme, le racisme, prennent des dimensions inouïes.

L’ignorance additonnée à la haine produit inévitablement la violence et les drames auxqels nous assistons.
C’est précisement ce que nous nous efforcions d’éradiquer. 
C’est bien la haine de l’autre qui était la source de tous nos malheurs. 
C’est cette haine fanatique, qui a imprégné tout un peuple et leurs complices dans les pays occupés par les nazis. Elle a conduit six millions de Juifs, vers le néant des fosses communes, des ravins d’Ukraine, de Biélorussie, et des camps de la mort, dont les noms, grâce aux efforts de Yad Vashem à Jérusalem et de tous les autres mémoriaux, ne seront jamais oubliés.

Or, ce que je vois aujourd’hui, c’est que les mêmes erreurs se renouvellent maintenant ailleurs! 
La leçon du passé n’a manifestement pas servi ! 
Notre leitmotiv “JAMAIS PLUS” s’est perdu dans l’ignorance et l’agressivité ! 
Le flambeau de l’Histoire serait- il éteint et ne guiderait-il plus les esprits?
Nos craintes refont surface!
Aurions nous manqué notre but, en croyant accomplir notre devoir de transmission?
Les générations qui nous succèdent devront-elles revivre ce que nous avons vécu?
Nous entendons des appels à la destruction d’Israël, proférés devant des instances internationales, sans qu’aucune sanction appropriée ne soit prononcée.
Des livres enseignant la haine des Juifs, circulent sans faire l’objet d’une quelconque condamnation! 
L’internet véhicule des appels au meurtre et parfois même dans la bouche de religieux dont on attendrait des paroles de paix !

Je pense donc que pour nous, les survivants de la Shoah, notre rôle n’est plus seulement de témoigner de ce qui fut. Notre rôle désormais, c’est de lancer un appel haut et fort contre toutes les formes d’antisémitisme, de xénophobie et contre l’education de la haine, aujourd’hui et demain. Cet appel à la vigilance doit être entendu par toutes les citoyennes et tous les citoyens, par toutes les autorités et instances politiques et morales de tous les pays !

Nous le devons au salut de nos enfants, en me temps qu’à la mémoire de chacune des victimes de la Shoah !

1er juin 2011

M. le directeur départemental des anciens combattants.
M. le directeur du Mémorial Charles de Gaulle
M. le directeur des archives départementales
M. le directeur du centre de documentation pédagogique
Mesdames, Messieurs,
Avant de relater mon témoignage, mon vécu, je tiens au préalable répondre aux questions que les organisateurs de ce colloque ont souhaité aborder.

 

Les relations mémoire- histoire et examiner le rapport entre les deux.
L’historien face au témoignage.
Comment enseigner la déportation aux jeunes.
Et si le devoir de mémoire et le devoir d’histoire relèvent d’une attitude citoyenne?

Bien que les deux premières questions semblent plutôt appartenir au domaine universitaire, je vais néanmoins me risquer à donner mon point de vue en qualité de rescapé d’Auschwitz, ayant bien sûr en tête d’une façon permanente la SHOAH, drame unique et spécifique dans l’histoire de l’humanité. 
 
D’une façon liminaire, il convient de faire la distinction entre la déportation répressive qui concernait le plus souvent les opposants au régime nazi. Elle rassemblait ces prisonniers dans des camps de concentrations, déportation certes inhumaine, mais en aucun cas comparable à celle de tout un peuple, provenant de tous les pays sous la botte nazie durant la guerre, assassiné dans des camps d’exterminations, d’où personne ne devait et ne pouvait s’échapper.

On sait bien que les Nazis se sont efforcés à effacer toutes traces de leur crime, les images et les films insupportables sont néanmoins connus. Ils ont été essentiellement réalisés par les Alliés au moment de la libération des camps. Le Général Eisenhower a d’ailleurs ordonné impérativement, de photographier et de filmer les camps libérés, car disait-il, il se trouvera un jour des individus qui diront: « Cela n’a jamais existé »!

Bien que l’histoire s’efforce d’être objective, il est éminemment souhaitable, voire indispensable, qu’entre l’historien et le témoin s’établissent une complémentarité.
La mémoire du témoin est faillible et l’historien ne peut pas toujours se distancier d’une certaine idéologie. 
Cette complémentarité est néanmoins essentielle à la compréhension de la SHOAH, sans pour autant éliminer une suspicion réciproque, entre les deux.

Chaque témoin relate son vécu personnel, celui-ci est par définition seulement une pièce d’un puzzle, donc partiel.

L’historien doit reconstituer la multitude des pièces, dont il a pu prendre connaissance, pour structurer une vue d’ensemble de ce puzzle. Ceci n’est toutefois qu’un de ses outils. Il doit en plus procéder à des recherches dans les archives et consulter des documents authentifiés, pour dresser le fait historique. Une fois établis, ils les situent dans un contexte plus vaste.
Mais même après cette reconstitution, l’histoire transmise par le livre ne traduira jamais la dimension humaine et tragique telle qu’elle est narrée par le témoin.

Au mieux, l’historien tente de s’en approcher en présentant des statistiques, des photos et des facs similés des documents qu’il a consultés. Son livre ne touche que l’intellect et relate la globalité de l’événement, mais il est incapable de se substituer au témoin qui lui, revit son expérience d’une façon douloureuse, chaque fois qu’il se trouve devant son auditoire. Tout en prenant d’infinies précautions pour ne pas choquer, il témoigne pourtant des horreurs dont il ne se délivrera jamais. Qui d’autre que lui est en mesure de retracer la «marche de la mort » qui le hante encore

Le témoin essaye de décrire l’indicible, l’inimaginable, et sans le vouloir, il éveil des émotions qui participent à atteindre les esprits.

Si l’historien peut affirmer l’existence des chambres à gaz, car il a trouvé les plans et des documents dans les archives allemandes, le témoin, lui, les a vu fonctionner, tout comme il a vu la fumés sortir des fours crématoires, répandant une odeur pestilentielle qui enveloppait en permanence le camp de Birkenau.

Le témoin a en outre la force du verbe et peut répondre aux questions les plus intimes, ce que l’historien ne peut évidemment pas.

J’ai évoqué jusqu’ici le témoin victime, mais il n’est pas sans intérêt d’entendre  aussi le témoin bourreau.

Ainsi Rudolf Höss, commandant du camp d’Auschwitz-Birkenau, lors de son procès à Nuremberg a sursauté d’indignation, contestant les deux millions et demi de morts qui  lui ont été imputés, pour minorer simplement ce nombre !

De même Adolf Eichmann, au cours de son procès à Jérusalem en 1961, n’a pas nié les faits, mais a tenté de dégager sa responsabilité, osant ajouter ce propos: « tuer un homme est un chiffre, tuer 6 millions de personnes est du domaine des statistiques».

Ces témoignages ajoutés à tant d’autres servent et complètent le travail de l’historien.

Le témoin tout comme l’historien doit s’attacher à faire comprendre comment on passe du mépris de l’autre à la discrimination, de là, à la haine et de la haine au crime. 
Et combien il est indispensable de se servir de la mémoire du passé, pour construire le futur !

Il est éminemment souhaitable que l’enseignement de la Shoah soit accompagné par la recommandation de la lecture des livres, notamment ceux des survivants, qui éclairent non seulement sa spécificité, mais aussi le sens du « crime contre l’humanité et son imprescriptibilité». 
Un voyage sur les traces de la Shoah, la visite des lieux des crimes, voir l’inscription sadique au dessus du portail d’Auschwitz « Arbeit macht frei» (Le travail rend libre) sont sans aucun doute des éléments hautement pédagogique.

Il est en outre fortement recommandé de faire visiter le Mémorial de la Shoah à Paris, lequel contribue d’une façon excellente à une meilleure connaissance de cette page dramatique de notre histoire.
 
Un autre exemple pouvant contribuer à parfaire l’enseignement civique du futur citoyen, c’est l’exposition « Désobéir pour sauver » présentée ici et qui mérite largement à être mise en évidence. Elle honore 54 policiers et gendarmes nommés «Justes parmi les Nations».

En parcourant cette exposition, le futur citoyen comprendra à quel point le comportement, hautement humain et courageux de ces femmes, de ces hommes, peuvent lui servir d’exemple.

Le titre de JUSTE PARMI LES NATIONS est la plus haute distinction civile décernée par l’Etat d’Israël.

A ce jour 3 328 (23 706) français ont reçu ce titre honorifique.

Pour glorifier leurs mémoires, une plaque a été inaugurée au Panthéon en 2007 par le Président de la République, Jacques Chirac et Madame Simone Veil, Présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.

Ces « JUSTES » ont sauvé au péril de leurs vies des êtres en danger de mort.

Ils ont sauvé en même temps l’honneur de la France.

Paul Schaffer
Avril 2011-06-01

Discours lors de la cérémonie de la Rafle de Vel d'Hiv - 18/07/10

Dimanche 18 juillet 2010 à Paris
Discours de Paul Schaffer, président du comité Yad Vashem en France, lors de la cérémonie de la Rafle de Vel d'Hiv

Monsieur le Ministre,
Messieurs les représentants des Cultes, des Elus, des Associations,
Madame Simone Veil, très chère Simone,
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Maire de Paris,
Mes amis, mes camarades de déportation,
Mesdames, Messieurs,

Nous commémorons en ce jour le 68e anniversaire de la rafle du Vel d'Hiv.
Comme chaque année je me souviens de l'important discours, tenu ici même il y a 15 ans, par le Président Jacques Chirac. Ses propos m'avaient incité à lui écrire spontanément, pour exprimer ma reconnaissance, car j'attendais vainement, depuis 53 années, dans l'inquiétude et la déception, la mise au point qu'il venait d'énoncer.

En effet, arrêté par des Gendarmes à Revel, Haute Garonne, en zone non occupée, le 26 août 1942, j'ai été déporté le 4 septembre par le convoi no 28, vers Auschwitz, avec ma mère et ma sœur ainée, âgée de 19 ans.

Ce convoi emportait 999 personnes. En 1945 vingt-sept seulement sont revenues : je suis l'un d'eux et l'unique survivant de ma famille.

Or si je prends la parole aujourd'hui devant vous, c'est justement pour que nous nous souvenions ensemble du drame peu connu et jusqu'ici jamais commémoré: la rafle massive des Juifs étrangers, du mois d'Aout 1942, qui s'est déroulée en zone non-occupée et qui a atteint les Juifs dans les communes les plus reculées du territoire.

Décidée et exécutée par le gouvernement de Vichy, cette rafle avait pour objectif de livrer à la Gestapo les Juifs étrangers se trouvant sous sa responsabilité. Il s'agissait de compléter les 13.152 personnes arrêtées et regroupés au Vélodrome d'hiver et d'atteindre le nombre de 22 000 Juifs, exigé par l'occupant.

Consacrant définitivement le déshonneur du régime de Vichy.

Il me parait inutile de rappeler ici que ces étrangers sont venus en France espérant y trouver secours et protection.

Ainsi 10 587 hommes, femmes, vieillards et enfants furent arrêtés, la plupart lors des rafles du 26 août et déportés via Drancy dans des conditions abominables, pour être presque tous assassinés dans les chambres à gaz des camps d'extermination.

De ces 10 587 déportés, seuls 270 ont survécu.

Ainsi, aux horreurs des arrestations, dites du Vel d'Hiv, s'ajoutent celles du mois d'Aout 1942. Les deux plus grandes rafles ont mené vers les camps d'extermination, en l'espace de ces deux mois, quelque 23 800 personnes, c'est presque un tiers des 76 000 Juifs déportés de France, durant toutes les années de l'occupation.

La haine des Juifs, amplifiée par la propagande nazie, avait trouvé un écho favorable auprès de certains Français qui se sont fait leurs complices, aboutissant à la Shoah.

Néanmoins et dans le même temps, d'autres Français, par simple humanité, avec bonté et abnégation ont sauvé, souvent au péril de leur vie, des Juifs de la déportation et de la mort.

Identifiés, ils ont reçu de l'état d'Israël le titre de Juste parmi les Nations.

Parmi ces Justes, reconnus ou restés anonymes – l'autre dimension de cette journée de souvenir – je souhaite rappeler plus particulièrement la mémoire de MgrSaliège de Toulouse et de Mgr Théas de Montauban. Les arrestations du mois d'Août donnèrent lieu à la rédaction de leurs lettres pastorales : elles furent lues dans toutes les églises de leurs diocèses. Ils y dénonçaient ces actes qui portaient atteinte à la dignité humaine et ils appelaient les Chrétiens de France à ne pas être complices de pareils forfaits.

Nous le savons, les Justes de France furent de toute obédience et appartenaient à des milieux religieux, culturels et sociaux différents. Ils furent nombreux, même si la plupart resteront dans l'ombre, faute de ne pas avoir raconté à temps ou par modestie leur histoire.

Pourtant, je suis heureux, comme Président du Comité français pour Yad Vashem, de pouvoir instruire aujourd'hui encore, bien que tardives, des nouvelles demandes qui continuent de nous parvenir et que Yad Vashem Jérusalem décidera d'honorer du titre de Justes.

Mais le temps n'efface pas notre reconnaissance, leurs actions sont et resteront une leçon à tout jamais.

Ils ont sauvé l'honneur de la France !

Dans un monde où les actes de haine, la confusion des valeurs, la diabolisation d'Israël se manifestent, le rappel des principes qui ont guidé les Justes d'hier s'impose, et exige de nous de défendre la vérité, la justice et la paix.

Tout en le déplorant, il faut que j'évoque aussi aujourd'hui un acte qui s'est produit lors d'une récente remise de diplôme de Justes, dans une petite ville de la province française. Alors qu'un couple d'agriculteurs ayant caché des Juifs pendant la guerre était honorés, un groupe d'individus est venu perturber l'atmosphère chaleureuse et émouvante de cette cérémonie, distribuant des tracts agressifs, distillant leur haine et proférant des slogans antisémites.

Jamais je n'aurais pu imaginer que ce genre de démonstrations puisse se produire après la Shoah. Ayant vécu la Nuit de cristal à Vienne, âgé alors de 14 ans, ayant encore dans ma mémoire le souvenir des discours de haine, je sais à quelle incontrôlable catastrophe ces manifestations conduisent, si elles ne sont pas dénoncées, sanctionnées et éradiquées à temps.

Ces comportements sont indignes et contraires à l'esprit de notre République.

Aujourd'hui, Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs les élus, si nous voulons donner un sens à nos commémorations et ne pas seulement évoquer le passé, nous devons tous, autorités politiques, autorités morales et citoyens, assumer un impérieux devoir : celui de combattre toutes les manifestations de haine et de violence.

UNESCO

July 9th 2012, 
Paul Schaffer, 
Honorary President of the French Committee for YAD VASHEM, member of the board of the Foundation for the Memory of the Shoah

Your Excellencies, distinguished ambassadors, 
Madam the Director-General from UNESCO,
Mr President of VERBE & LUMIERE,
Mr Director of the Wiesenthal Center
Honorable gentlemen, Representatives of the Russian Holocaust Center
Winners of the international Russian competition,
Ladies and Gentlemen,
Survivor of the hell of Auschwitz, loyal to its memory, witness to Kristalnacht in Vienna several years earlier, I am deeply touched to have been invited by the organisation ‘VERBE ET LUMIERE’ to say a few words today, on the occasion of the presence of the Russian prize-winners, who were selected from over 1700 contestants.
I am even more moved because this place, UNESCO, dedicated to education, humanism and peace, has, for the past several years, begun to grant an important place to the teaching of the Shoah within the context of its own objectives. 
I would like to congratulate the representatives of the Russian Holocaust Center for its work over the past several years promoting the transmission of the memory of the greatest tragedy to strike western civilisation in the twentieth century.
I was deported from France in 1942, aged 17, together with my mother and sister to Auschwitz where they were gassed on arrival. In 1945, after the ‘death march, I escaped from the train which was taking survivors to Buchenwald concentration camp. I was liberated shortly afterwards by a Soviet patrol – the very day, more precisely January 27th 1945, that the Red Army liberated the camp at Auschwitz-Birkenau. I consider this date not simply the date of my liberation, but the date of my second birth.
You can therefore surely imagine my feelings of gratitude towards your compatriots, and I would like to take this opportunity to express once more my appreciation for all that they did. I know the price they paid and how much we owe them for our freedom. 
The prize-winners, whose work will be presented to us later on, showed seriousness and commitment in their research into the fate of the victims of the Nazi barbarism - particularly violent in their part of the world.
I would like to insist on one specific issue: that of our return to France after the war, which led to frequent misunderstandings and which, above all, revealed huge levels of ignorance towards the survivors of the Shoah. In fact, upon our return to France, a wall separated us from those who had also suffered differently.
I would like to talk to you today about the question of the transmission of our dramatic experience, the protection and the evolution of the memory of those events. 
When we returned to France, we were initially faced with the need to convince those who were prepared to listen of the truth of what we told them. We had to describe the unimaginable, find the right words to make the unbelievable comprehensible. With words that were totally unsuitable. We had to try to get people to recognise that we had come from another universe, from which noone should have returned. Understanding us was not easy: there is no place in the human brain to accomodate such experiences as ours. Our arrival disturbed the peace of a population just emerging from wartime, who had suffered enormous deprivations and woes - obviously nothing comparable with what we had endured, but their experiences were the only ones that counted for them. We even seemed to some people slightly suspect for having survived the atrocities that we claimed to have been witness to, or indeed been victims of. We tried to explain, but faced with such difficulties, such a gap of comprehension, many of us resorted to silence for many years: we held our peace whilst trying to rebuild our lives, find work, and start a family. 
Gradually, in France, various national and historical theses were put forward, one after another, and with time, books, photographs, films and the large number of testimonies made the truth impossible to avoid. The construction of sites of memory and the organisation of guided visits to the sites of the crimes added to the understanding of what we had suffered.
The next phase began when we survivors, started to talk, to teach and to contribute to the education of the younger generation. We filled in details in history books, and our testimonies completed the understanding of historians, who finally heard us. 
Our concern, beyond the telling of our own stories, was to show how it was possible to transform legally men into murderers. We wanted above all to raise permanent awareness for future citizens, to inculcate a respect for life and other human beings, in order that the catastrophe that we had lived through should never happen again.
I can affirm that letters from teachers and schoolchildren, and even drawings done by the very youngest children, express their understanding and make our efforts worthwhile. 
We are today continuing with our efforts, but a new dimension has been added. Our world has changed considerably in the last few years. Considerable technical advances have been made, but this has not been matched by a hoped-for comparable moral development. In fact, cultural deficiency has become more marked. Antisemitic and racist violence of unprecedented dimensions has flared up again, dragging our world back in the opposite direction to what we had hoped for. Ignorance combined with hatred inevitably produces violence and the kinds of dramas that we find ourselves witnessing again and again. 
That is precisely what we were striving to eradicate.
Hatred was the source of all our suffering. 
It was fanatical hatred, impregnating an entire nation, as well as collaborators in other countries, which led six million Jews to the empty void of communal graves, to the ravines of Ukraine and Belarus, to the death camps whose names, thanks to the work of Yad Vashem in Jerusalem and other memorial sites, will never be forgotten. 
Yet, as we see today, the same mistakes are being made again, in other places.
The lessons of the past have apparently not been learned. 
Our motto, “NEVER AGAIN”, has been forgotten, through ignorance and aggression.
Will the flame of History be extinguished, no longer there to guide our spirits?
Our fears are resurfacing!
Might we miss our goal, having believed that we have fulfilled our duty of transmission?
Might generations to come, have to relive what we experienced?
We hear calls, before international organisations, for the destruction of Israel, with absolutely no sanctions applied. 
Books teaching hatred of Jews circulate without condemnation. 
The internet spreads calls to murder and sometimes we even hear such things coming from the mouths of religious leaders, instead of peaceful words that we would expect.
I believe that for us, the survivors of the Shoah, our role is not simply to bear witness to what was. Our role henceforth is to make a plea, loud and clear, against all forms of antisemitism and xenophobia, today and tomorrow: a plea for vigilance, which must be heard by all citizens, by all governments, by all political and religious leaders, in every country of the world.

We owe it to the memory of each and every victim of the Shoah!

LE MOT DU PRESIDENT

Tout au long de cette année 2010, nous avons poursuivi nos activités régulières afin de rendre hommage aux Justes parmi les Nations de France, et rappeler ainsi aux jeunes générations notamment, l‘importance des valeurs qu’ils ont incarnées il y a plus de soixante-cinq ans.

Les années ont passé mais ceux qui jadis ont été sauvés, cachés et protégés sont toujours aussi nombreux ; et même plus nombreux, soucieux de retrouver et d’honorer ces familles non juives auxquelles ils doivent la vie.

Ils ont attendu tout ce temps, pris sans doute par leur vie qu’il fallait reconstruire, souvent orphelins ou partis vivre sous d’autres cieux, en Israël, aux États Unis, en Australie même. Parfois trop petits, ils ne connaissaient même pas les noms de ceux qui les avaient cachés ; et c’est une photo tombée d’un vieille boite, griffonnée au dos, qui intriguant les petits enfants, a parfois été à l’origine de leur décision : chercher pour en savoir plus puis rassembler toutes les pièces nécessaires pour qu’enfin, après l’instruction du Comité français et la décision de Yad Vashem, l’Etat d’Israël au nom du Peuple juif tout entier, attribue le titre de Juste parmi les Nations à ceux qui les avaient sauvés.

Souvent aujourd’hui, c’est à titre posthume. Pourtant, chaque fois, comme chacun de nos délégués, je peux témoigner de l’émotion et de la fierté que nous éprouvons tous, lors de ces cérémonies réunissant familles, amis, élus, lycéens, enseignants, citoyens, villageois, attentifs à ces récits de courage et de dignité comme au rappel des rafles et de la déportation.

Aussi, j’invite tous ceux qui ne l’ont pas encore fait, à constituer ces demandes de reconnaissance.

Je suis d’autre part particulièrement heureux qu’en complément de ce travail de reconnaissance individuelle, 2010 soit aussi l’année où nous avons vu, à l’initiative de nos délégués, des élus ou des familles, se développer la volonté d’inscrire ces hommages localement et publiquement : par des plaques ou en baptisant une rue, une place, du nom de ces Justes de France honorés par Yad Vashem. De là est venue l’idée d’inscrire plus durablement encore ces valeurs de courage, de tolérance, de fraternité, en réunissant ces villes et ces villages au sein d’un réseau interne à notre Comité. Une idée qui devrait se réaliser en 2011.

Au service de ces idées, nous avons donc, en 2010, poursuivi nos efforts de professionnalisation, de restructuration et de communication, avec notamment un envoi mieux structuré du Lien Francophone dont le contenu a également été amélioré par Jérusalem et nous-mêmes ; nous avons ainsi élargi le cercle de nos membres-adhérents et de nos financements : notre bilan financier, pour la seconde année consécutive, est donc positif. La modernisation de nos outils informatiques et la restructuration complète de nos fichiers, travail fastidieux mais essentiel, ont renforcé la connaissance donc l’impact de nos activités et celles de Jérusalem. Il manque encore la refonte de notre site mais nous espérons qu’en 2011, cela sera également terminé. Enfin, nous avons progressivement resserré nos liens et travaillé avec les Régions afin d’optimiser nos ressources, nos informations, l’organisation des cérémonies et l’instruction des nouvelles demandes.

Nous poursuivons au mieux notre mission grâce à notre coopération avec le Département francophone de Jérusalem et au travail d’une soixantaine de délégués, bénévoles, fidèles et engagés. Nous avons pu également recruter en fin d’année David Adam qui désormais coordonnera toutes les activités du Comité français, renforçant ainsi l’équipe de nos deux permanents.

Entouré d’un Bureau mis en fonction depuis le début de l’année 2010, je voudrais plus particulièrement saluer l’arrivée de notre nouveau secrétaire général, Jean-Pierre Gauzi, dont le travail inlassable, la compétence et la gentillesse sont des atouts majeurs pour la réussite des actions que nous menons. 

Je tiens aussi à rendre hommage à Gérard et Elisabeth Goldenberg, Edith Moskovic, Jennie Laneurie et Jean-Claude Roos qui, ayant mis fin à leur bénévolat actif, ont été honorés par Jérusalem en reconnaissance de leur « indéfectible dévouement » à Yad Vashem.

Je salue également l’arrivée du Dr Jean Raphael Hirsch, qui après avoir été vice-président, a pris ma succession en novembre 2010. Je lui remets, avec les clefs, une mission dont il connait toute l’importance. Je sais qu’il la conduira avec ferveur et courage.

Je remercie enfin le Comité directeur de sa confiance : nommé à présent Président d’honneur, je continuerai ainsi, tant que mes forces me le permettront, à me mettre au service de Yad Vashem, au service de l’Histoire et de la mémoire de la Shoah.

Revenu d’Auschwitz, la vie après Auschwitz a toujours été une vie avec Auschwitz. 
Mais le travail au sein du Comité français, avec la lumière qu’il projette sur les valeurs contraires incarnées par les Justes, a toujours été pour moi un chemin vers la foi, malgré tout, en l’humanité.

Je voudrais conclure en soulignant mon émotion lorsque j’ai reçu, des mains d’Avner Shalev, directeur général de l’institut Yad Vashem de Jérusalem, « La Clé de la Mémoire ».
Cette clé est pour moi celle de Yad Vashem Jérusalem notre maison. Comme toutes les portes qui s’ouvrent et qui se ferment, celle de Yad Vashem enferme l’histoire de ceux que nous n’oublierons jamais, mais s’ouvre aussi sur le futur que nous espérons tous un futur de Paix.

Paul Schaffer