1er juin 2011

M. le directeur départemental des anciens combattants.
M. le directeur du Mémorial Charles de Gaulle
M. le directeur des archives départementales
M. le directeur du centre de documentation pédagogique
Mesdames, Messieurs,
Avant de relater mon témoignage, mon vécu, je tiens au préalable répondre aux questions que les organisateurs de ce colloque ont souhaité aborder.

 

Les relations mémoire- histoire et examiner le rapport entre les deux.
L’historien face au témoignage.
Comment enseigner la déportation aux jeunes.
Et si le devoir de mémoire et le devoir d’histoire relèvent d’une attitude citoyenne?

Bien que les deux premières questions semblent plutôt appartenir au domaine universitaire, je vais néanmoins me risquer à donner mon point de vue en qualité de rescapé d’Auschwitz, ayant bien sûr en tête d’une façon permanente la SHOAH, drame unique et spécifique dans l’histoire de l’humanité. 
 
D’une façon liminaire, il convient de faire la distinction entre la déportation répressive qui concernait le plus souvent les opposants au régime nazi. Elle rassemblait ces prisonniers dans des camps de concentrations, déportation certes inhumaine, mais en aucun cas comparable à celle de tout un peuple, provenant de tous les pays sous la botte nazie durant la guerre, assassiné dans des camps d’exterminations, d’où personne ne devait et ne pouvait s’échapper.

On sait bien que les Nazis se sont efforcés à effacer toutes traces de leur crime, les images et les films insupportables sont néanmoins connus. Ils ont été essentiellement réalisés par les Alliés au moment de la libération des camps. Le Général Eisenhower a d’ailleurs ordonné impérativement, de photographier et de filmer les camps libérés, car disait-il, il se trouvera un jour des individus qui diront: « Cela n’a jamais existé »!

Bien que l’histoire s’efforce d’être objective, il est éminemment souhaitable, voire indispensable, qu’entre l’historien et le témoin s’établissent une complémentarité.
La mémoire du témoin est faillible et l’historien ne peut pas toujours se distancier d’une certaine idéologie. 
Cette complémentarité est néanmoins essentielle à la compréhension de la SHOAH, sans pour autant éliminer une suspicion réciproque, entre les deux.

Chaque témoin relate son vécu personnel, celui-ci est par définition seulement une pièce d’un puzzle, donc partiel.

L’historien doit reconstituer la multitude des pièces, dont il a pu prendre connaissance, pour structurer une vue d’ensemble de ce puzzle. Ceci n’est toutefois qu’un de ses outils. Il doit en plus procéder à des recherches dans les archives et consulter des documents authentifiés, pour dresser le fait historique. Une fois établis, ils les situent dans un contexte plus vaste.
Mais même après cette reconstitution, l’histoire transmise par le livre ne traduira jamais la dimension humaine et tragique telle qu’elle est narrée par le témoin.

Au mieux, l’historien tente de s’en approcher en présentant des statistiques, des photos et des facs similés des documents qu’il a consultés. Son livre ne touche que l’intellect et relate la globalité de l’événement, mais il est incapable de se substituer au témoin qui lui, revit son expérience d’une façon douloureuse, chaque fois qu’il se trouve devant son auditoire. Tout en prenant d’infinies précautions pour ne pas choquer, il témoigne pourtant des horreurs dont il ne se délivrera jamais. Qui d’autre que lui est en mesure de retracer la «marche de la mort » qui le hante encore

Le témoin essaye de décrire l’indicible, l’inimaginable, et sans le vouloir, il éveil des émotions qui participent à atteindre les esprits.

Si l’historien peut affirmer l’existence des chambres à gaz, car il a trouvé les plans et des documents dans les archives allemandes, le témoin, lui, les a vu fonctionner, tout comme il a vu la fumés sortir des fours crématoires, répandant une odeur pestilentielle qui enveloppait en permanence le camp de Birkenau.

Le témoin a en outre la force du verbe et peut répondre aux questions les plus intimes, ce que l’historien ne peut évidemment pas.

J’ai évoqué jusqu’ici le témoin victime, mais il n’est pas sans intérêt d’entendre  aussi le témoin bourreau.

Ainsi Rudolf Höss, commandant du camp d’Auschwitz-Birkenau, lors de son procès à Nuremberg a sursauté d’indignation, contestant les deux millions et demi de morts qui  lui ont été imputés, pour minorer simplement ce nombre !

De même Adolf Eichmann, au cours de son procès à Jérusalem en 1961, n’a pas nié les faits, mais a tenté de dégager sa responsabilité, osant ajouter ce propos: « tuer un homme est un chiffre, tuer 6 millions de personnes est du domaine des statistiques».

Ces témoignages ajoutés à tant d’autres servent et complètent le travail de l’historien.

Le témoin tout comme l’historien doit s’attacher à faire comprendre comment on passe du mépris de l’autre à la discrimination, de là, à la haine et de la haine au crime. 
Et combien il est indispensable de se servir de la mémoire du passé, pour construire le futur !

Il est éminemment souhaitable que l’enseignement de la Shoah soit accompagné par la recommandation de la lecture des livres, notamment ceux des survivants, qui éclairent non seulement sa spécificité, mais aussi le sens du « crime contre l’humanité et son imprescriptibilité». 
Un voyage sur les traces de la Shoah, la visite des lieux des crimes, voir l’inscription sadique au dessus du portail d’Auschwitz « Arbeit macht frei» (Le travail rend libre) sont sans aucun doute des éléments hautement pédagogique.

Il est en outre fortement recommandé de faire visiter le Mémorial de la Shoah à Paris, lequel contribue d’une façon excellente à une meilleure connaissance de cette page dramatique de notre histoire.
 
Un autre exemple pouvant contribuer à parfaire l’enseignement civique du futur citoyen, c’est l’exposition « Désobéir pour sauver » présentée ici et qui mérite largement à être mise en évidence. Elle honore 54 policiers et gendarmes nommés «Justes parmi les Nations».

En parcourant cette exposition, le futur citoyen comprendra à quel point le comportement, hautement humain et courageux de ces femmes, de ces hommes, peuvent lui servir d’exemple.

Le titre de JUSTE PARMI LES NATIONS est la plus haute distinction civile décernée par l’Etat d’Israël.

A ce jour 3 328 (23 706) français ont reçu ce titre honorifique.

Pour glorifier leurs mémoires, une plaque a été inaugurée au Panthéon en 2007 par le Président de la République, Jacques Chirac et Madame Simone Veil, Présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.

Ces « JUSTES » ont sauvé au péril de leurs vies des êtres en danger de mort.

Ils ont sauvé en même temps l’honneur de la France.

Paul Schaffer
Avril 2011-06-01